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Chapitre III

Culture, didactique et altérité​

1. Culture et diversité des langues 

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Les mêmes mots pourraient ne pas recouvrir la même réalité sociale et culturelle, d’une langue à une autre. Dans l’enseignement, ces situations génèrent des difficultés de communication.

Souvent, les mêmes éléments du lexique (les termes et les expressions) génèrent des systèmes de représentations singuliers et propres à ladite langue. Celle-ci traduit inévitablement une spécificité culturelle, un mode d’analyse particulier. Ainsi, le terme akoufi  est utilisé par M. Feraoun sans avoir à essayer de trouver un équivalent en français. Le passage dans lequel figure le terme est le suivant :

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Le terme kabyle ikoufan n'a pas été traduit vers le français, non seulement en raison de l'absence d'un équivalent dans cette langue, mais aussi pour le fait que la réalité culturelle à laquelle celui-ci réfère est spécifique à la culture kabyle. La charge culturelle incluse dans ce terme ne peut être traduite par un terme français, s'il s'en trouvait.

D'autres contextes, pris dans d'autres romans, témoignent de ce désir de dire une culture à travers ses spécificités par l'intermédiaire des termes qui lui sont propres. Dans cet autre extrait, Feraoun utilise des termes kabyles tout en sachant que leurs équivalents existent en français :

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Le dialogue ici présenté est censé avoir été dit en kabyle. L'auteur a préféré écrire cheikh à la place de l'équivalent français (instituteur, maître, enseignant). La charge sémantique prêtée au terme cheikh dépasserait celle de l'équivalent français. C'est là l'une des raisons ayant motivé l'utilisation de ce terme. Beaucoup d'autres termes sont utilisés dans cette même optique. Citons, entre autres : Agoudou, L’amin, Baraka, Sidi, Lalla ...

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1. a. Culture et diversité des langues dans l'enseignement

Dans l’enseignement, les différences de langues, pouvant relever de cultures distinctes, peuvent générer des situations de difficultés de communication. Les enseignants n’arrivent pas à transmettre le message surtout quand on affaire à une classe hétérogène. De leur côté, les élèves peuvent participer mais produisent parfois des réponses brouillées car attribuant aux mots utilisés des significations fausses …

Ces difficultés ne relèvent pas seulement du niveau lexical (usage des mots). Les structures de phrases dans lesquelles ces unités (ces mots) s'insèrent pourraient aussi donner lieu à des difficultés menant l'apprenant à des traductions approximatives ou fausses. Ainsi, un apprenant du kabyle, de culture et de langue françaises, pourrait être amené à produire la phrase "esswiÉ£ lqahwa inu" ou même "DdemeÉ£ lqahwa inu (lqahwa-w)" en traduction de "j'ai pris mon café". Cet apprenant pourrait croire nécessaire de reprendre le possessif mon en kabyle même dans les cas où cela serait même une erreur. Comme dans la traduction des phrases : "j'ai pris mon bus", "j'ai révisé ma grammaire".

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2. L'approche interculturelle

Dans l’enseignement, les différences de langues, pouvant relever de cultures distinctes, peuvent générer des situations de difficultés de communication. Les enseignants n’arrivent pas à transmettre le message surtout quand on a  affaire à une classe hétérogène, c'est-à-dire composée d'apprenants venant d'horizons culturels différents. De leur côté, les élèves peuvent participer mais produisent parfois des réponses brouillées car attribuant aux mots utilisés des significations fausses … 

Ainsi, principalement quand il s'agit d’enseignement des langues étrangères, il est de nos jours reconnu que les apprenants n’ont pas seulement besoin de connaissances linguistiques et grammaticales de la langue étudiée. L'objectif est d'arriver à une maîtrise de la langue en question dans des situations de communication sociales et culturelles concrètes (réelles).

C'est à partir de là que les méthodes d'enseignement ont commencé à changer pour s'ouvrir davantage à ces problématiques en rapport aux différences culturelles et à ce qu'elles charrient comme difficultés dans l'apprentissage. En Europe, cela a abouti à l'élaboration d'organes et d'institutions à même de répondre à ces exigences. C'est dans ce sens qu'est né le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL), organe élaboré par le Conseil de l’Europe. Dans sa politique, ce cadre met l'accent, entre autres, "sur l’importance d’une prise de conscience de la dimension interculturelle, des adaptations interculturelles et du  savoir être." Dans la même perspective, il précise l'importance de l'approche interculturelle en écrivant : 

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Cela signale la place accordée à l'apprenant en tant qu'individualité dont le développement de la personnalité et de l'identité est mis au premier rang en tenant compte de l'apport à ce développement des expériences qu'il aura à vivre à travers ses rencontre avec l'Autre.

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3. Identité, altérité et diversité culturelle

3. a. A propos de l'identité 

En terminant le point précédent en référence à l'Autre, nous entamons celui-ci à travers quelques mots en rapport à l'identité. Celle-ci ne s'envisage, finalement, que par rapport à l'autre. Le moi ne se construit que parce qu'il se rend compte qu'il est différend de l'autre. Patrick Charaudeau écrit dans ce sens :​

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L'identité est donc un processus de découverte de soi qui dépend d’une relation à l’autre. Ce processus s'élabore à travers un contexte socio-historique donné et il est en perpétuel renouvellement.​

Ainsi, la conscience identitaire ne peut naître que de la perception de l’autre comme étant différent de soi. La perception de la différence de l’autre constitue d’abord la preuve de sa propre identité. « Il est différent de moi, donc je suis différent de lui, donc j’existe » Nos actes, en tant qu'individus ou en tant que groupe construisent notre identité. Mais les représentations que nous nous faisons de nos actes participent autant à la construction de notre identité. Ces représentations forment ce que l'on appelle les imaginaires sociaux.

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3. b. Les imaginaires sociaux

L'imaginaire social (collectif) consiste en les formes que prennent les représentations. Ces formes sont variées et leur particularité demeure dans le fait qu'elles peuvent se présenter différemment d'une culture à une autre.

Ainsi, l'imaginaire en rapport l'espace se présente (ou peut se présenter) distinct d'une culture à une autre. Comment est-il structuré ? Comment les individus d'une culture donnée s'y meuvent-ils ? Comment le gèrent-ils ? ...

Le temps est aussi concerné par cet imaginaire. Les représentations le concernant sont relatives façon dont les individus se représentent les rapports entre le passé, le présent et le futur et l’extension de chacun de ces moments.

Parmi les imaginaires sociaux figurent aussi ceux en rapport au lignage. Il s'agit là de la façon dont les individus se représentent leurs héritages historiques et la valeur symbolique qu’ils attribuent à leurs filiations.

Le corps peut donne lieu à des représentations forgeant les imaginaires collectifs. Ces représentations sont celles en rapport à sa place dans l’espace social : Est-il montrable ? Relation avec les apparences (bijoux, vêtements) et les odeurs …

En dernier, nous pouvons citer les imaginaires en rapport aux relations sociales. Comportements sociaux engendrant rituels sociaux … Rituels de salutations, d’excuses et de politesse, mais aussi les rituels d’injures et d’insultes, et enfin d’humour, d’ironie, de dérision. Ces comportements peuvent tous porter en eux des traits les faisant distinguer les uns des autres mais surtout d'une culture à une autre. Mais l'essentiel demeure dans le fait que ce sont ces représentations qui forgent la façon de vivre des groupes et des individus. Les clefs de leur compréhension du monde (et ce qui donne sens à leur existence) sont forgées par ces représentations. C'est de là, en somme, que découle ce que nous sommes (ou ce que nous croyons être) - en tant qu'individus et groupes- et ce que (nous croyons que) l'autre est (ou croit être) ...

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3. b. 1. Imaginaires en rapport à la langue

Les imaginaires en rapport à la langue sont aussi en lien direct avec les constructions identitaires des individus et des groupes. Dans leur rapport face à leur langue, les individus développent une façon commune de se voir comme appartenant à une même communauté linguistique. Cela crée un sentiment d'appartenance forgeant une identité collective.

La représentation que l’on pourrait avoir de la langue est « confortée par une autre idée qui joue le rôle de valeur fondatrice : la "filiation". Cette notion renvoie au mode de transmission, dans un système de parenté, du nom, du lieu d'habitation et/ou de l'appartenance à une classe matrimoniale et qui se réalise soit par le père (système patrilinéaire), soit par la mère (système matrilinéaire). Patrick Chareaudeau écrit à propos de cette notion :

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Cette citation explique à quel point le sentiment d'appartenance collective est tributaire de la conception que l'on se fait de notre langue. Celle-ci est non seulement nécessaire à la constitution d'un identité collective, mais elle nous rend aussi responsables (comptables) du passé avec lequel elle crée une solidarité. 

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3. c. L'altérité

Le terme altérité vient étymologiquement du bas-latin alteritas qui signifie différence. Nous voyons donc que, à l'origine déjà, le terme portait en lui le sens de la distinction et l'idée de la nécessité de l'acceptation de la non-ressemblance. Les conflits d’ordre culturel naissent souvent de la non-acceptation de la différence.

La non-acceptation provient le plus souvent du sentiment que l’autre parait telle une menace parce que différent.

Pour que naissent des relations interculturelles saines, cela nécessite le respect de la diversité ; l'acceptation du dialogue et de la concertation. Afin de mieux VIVRE la diversité culturelle … Il y a lieu : De saisir et d’intérioriser les composantes de sa propre culture … Pour mieux comprendre et apprécier les composantes de la culture de l’autre. Ce travail se fait entre autres par l'intermédiaire d'institutions à l'exemple de l'école qui prend à sa charge le devoir de faire dans la pédagogie de l’interculturel. (voir le prochain chapitre --> Pédagogie de l’interculturel)

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La soupente renferme les ikoufan  de provisions, la jarre à huile et les coffres de la famille.

M. Feraoun

Le fils du Pauvre

éditions Du Seuil. p. 17;

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« Je me souviens, comme si cela datait d’hier, de mon entrée à l’école. Un matin, mon père arriva de la Djemaa …. , « vite, vite, dit-il à ma mère, lave-le entièrement : les mains, la figure, le cou, les pieds. Crois-tu que le Cheikh acceptera un singe pareil ! 

M. Feraoun

Dans une approche interculturelle, un objectif essentiel de l’enseignement des langues est de favoriser le développement harmonieux de la personnalité de l’apprenant et de son identité en réponse à l’expérience enrichissante de l’altérité en matière de langue et de culture.

CONSEIL DE L’EUROPE. 2001. CECRL

apprendre, enseigner, évaluer, Strasbourg,

Éditions du Conseil de l’Europe, pp. 9 – 12.

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Le problème de l’identité commence quand on parle de soi. Qui suis-je ? Celui que je crois être ou celui que l’autre dit que je suis ? Moi qui me regarde ou moi à travers le regard de l’autre ? Mais quand je me regarde, puis-je me voir sans un regard extérieur qui s’interpose entre moi et moi ? N’est-ce pas toujours l’autre qui me renvoie à moi ?

Patrick Charaudeau

L’identité culturelle entre soi et l'autre

Actes du colloque de

Louvain-la-Neuve en 2005-2009

La filiation est une notion qui permet de dire que la langue se construit, mais surtout perdure, à travers le temps, ce qui fait que chacun des membres d’une communauté linguistique est comptable de l’héritage qu’il reçoit du passé, établissant ainsi un lien de solidarité entre le présent et le passé. 

ll est clair que la langue est nécessaire à la constitution d’une identité collective, qu’elle garantit la cohésion sociale d’une communauté, qu’elle en constitue d’autant plus le ciment qu’elle s’affiche. Elle est le lieu par excellence de l’intégration sociale … où se forge la symbolique identitaire.

Il est également clair que la langue nous rend comptables du passé, crée une solidarité avec celui-ci, fait que notre identité est pétrie d’histoire et que, de ce fait, nous avons toujours quelque chose à voir avec notre propre filiation aussi lointaine fût-elle. »

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Patrick Charaudeau

"L’identité culturelle : le grand malentendu",

Actes du colloque du Congrès des SEDIFRALE,

Rio, 2004., 2004,

consulté le 12 janvier 2021

sur le site de Patrick Charaudeau - 
URL: http://www.patrick-charaudeau.com/L-identite-culturelle-le-grand.html

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