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chapitre I
Naissance d'une discipline​
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1. Généralités. Les origines
La pragmatique n'est pas née d'un programme ou d'un projet de recherche tout comme c'est le cas, par exemple, pour la sémiologie qui trouve ses origines dans la reprise, sinon des suites envisagées, aux idées formulées par Saussure.
Les nombreuses investigations ntreprises dans le cadre de cette discipline permettent, aujourd'hui, de faire le constat que le terme pragmatique s'est affirmé dans la littérature linguistique. Ce qui laisse croire qu'il est légitime de «parler de la pragmatique comme d'une branche des sciences du langage. »
On situe généralement les débuts de la pragmatique à partir des travaux de John Langshaw Austin et de Paul Grice (à partir des séries de conférences appelées les William James Lectures données en 1955).
J. Austin introduit, à travers ces conférences, une notion centrale pour la pragmatique, celle d'acte de langage. Il défendait par là « l'idée selon laquelle le langage dans la communication n'a pas principalement une fonction descriptive, mais une fonction actionnelle ; en utilisant le langage, nous ne décrivons pas le monde, mais nous réalisons des actes, les actes de langage ».[1]
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L'originalité de la démarche renvoyait, entre autres, à l'idée de prendre le langage à travers ses effets concrets. Mais à bien suivre l'objectif tel que tracé, ne serait-il pas juste d'affirmer que « Les anciens rhétoriciens étaient déjà des pragmaticiens » ? Depuis longtemps déjà, des philosophes, à l'instar de Platon, Aristote, Cicéron, Quintilien, dans leurs travaux sur la rhétorique, se sont penchés sur les effets concrets du discours. «Ils réfléchissaient aux liens existant entre le langage, la logique (notamment argumentative) et les effets du discours sur l'auditoire ».
Des années trente aux années soixante-dix, le structuralisme dominait la scène des études consacrées aux langues. Ce courant est composé d'un groupe d'écoles dans lesquelles la langue est étudiée comme un système doté d'une structure décomposable. La linguistique prônée par ce courant a longtemps négligé l'usage-même du système. Pour elle, la langue est un objet d'étude extérieur au monde et s'oppose à la parole. Cette linguistique ne prend pas en compte les situations discursives.
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Globalement, la démarche, dans les théories linguistiques dominantes (structuralisme, générativisme), était de prendre le système à travers ses modes de combinaisons entre des ensembles de sons et des ensembles de sens. La linguistique se «réduisait » ainsi à la prise en charge des composantes morphologique, phonologique, syntaxique et sémantique de toute langue.
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A partir des années cinquante apparaissent les linguistiques énonciatives. Le coup d'envoi de cette approche est donné par les travaux du linguiste Emile Benveniste. Ici le langage est étudié tel que mis en situation par l'activité d'un énonciateur. L'idée ici est non simplement d'étudier l'énoncé mais l'acte même gouvernant sa production. L'énonciation s'intéresse à l'usage même que l'on fait de la langue. Celle-ci n'est pas conçue comme « réifiée », telle une langue morte, comme c'est le cas dans le structuralisme.
2. L’influence du structuralisme :
Pour les structuralistes, le sens d'un mot n'est saisissable qu'en l'opposant ou en le combinant à d'autres formes linguistiques. Les énonciativistes affirment, quant à eux, que si la situation nous met en présence du référent, on peut se passer du contexte linguistique. Cet exemple, que nous reprenons de H. Gezundhajt, illustre ce point de vue :
En forêt, l'énonciateur pourra dire :
Une oronge est un champignon.
mais aussi : Une oronge c'est ça.
ou encore --> Tiens ! Une oronge, (avec monstration)
sans faire appel au contexte linguistique.
Cet auteur affirme en conclusion :
Les formes linguistiques sont prises en charge par des énonciateurs et reçues par des co-énonciateurs qui y répondent. Le fait qu'il y ait un énonciateur et un co-énonciateur détermine le fonctionnement des formes. On peut même dire que le fait qu'il y ait un énonciateur et un co-énonciateur détermine la valeur sémantico-syntaxique des formes.[2]
Le tableau suivant donne un aperçu sommaire des grandes écoles structuralistes :
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Les linguistiques structurales vont influencer :
a. La linguistique générative de Chomsky :
Pour le mouvement génératif, on part de la syntaxe dont on dégage un corps de concepts puis on les généralise à la phonologie, la morphologie et la sémantique.
b. La psychosystématique de Gustave Guillaume :
Dynamique basée sur la morphologie
3. La langue, un système d’association …
La tradition structuraliste a consacré une démarche à travers laquelle la langue est définie en tant que système. La nécessité d’une telle conception est dictée par les objectifs déjà tracés par Saussure à la linguistique, entre autres, celui de bien cerner l’objet même de cette science qui ne pouvait ainsi être que la langue. Ce faisant, la linguistique a développé une méthode consacrée principalement à décrire le système tout en s’efforçant d’écarter tout ce qui est contingent ou encore tout phénomène n’appartenant pas au système. Dans cet ordre d’idées, il ne peut y avoir de linguistique, comme le souligne Saussure, que de la langue. Une linguistique de la parole serait, toujours dans ce sens, inenvisageable.
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3.1. Qu’est-ce qu’un système ?
Le dictionnaire de linguistique nous donne de ce terme les définitions suivantes :
1. En linguistique, la langue est considérée comme un système en ce sens qu’à un niveau donné (phonème, morphème, syntagme) ou dans une classe donnée, il existe entre les termes un ensemble de relations qui les lient les uns par rapport aux autres, si bien que, si l’un des termes est modifié, l’équilibre du système est affecté.
2. On donne aussi le nom de système à tout ensemble de termes étroitement coreliés entre eux à l’intérieur du système général de la langue. On parle ainsi du système du nombre en français (singulier vs pluriel), du système phonologique, du système vocalique, etc. De même, on dira que l’ensemble des règles syntagmatiques en grammaire générative est un système de réécriture.
Le terme de système recouvre finalement tout ensemble de règles reliées entre elles ou tout groupe de termes associés entre eux. …» [J. Dubois ; Dictionnaire de linguistique. Edition 2001]
3.2. La dichotomie langue/parole et ses implications méthodologiques
M. Ballabriga reprend la dichotomie saussurienne langue / parole dans l'axe d'une présentation de celle-ci mais aussi dans la perspective d'une critique appelant à une nouvelle approche de cette dichotomie :
langue/parole : Le langage est une faculté, alors que la langue est définie par Saussure comme un produit social, une convention adoptée par les membres d’une communauté linguistique. L’acte individuel de parole est incompréhensible si je ne postule pas que les individus en présence possèdent en commun un système d’association et de coordination des sons avec les sens, ce que Saussure nomme la langue et que l’on peut définir comme un pur objet social, un ensemble systématique des conventions indispensables à la communication. Séparer la langue de la parole revient à séparer le social de l’individuel, l’essentiel du contingent, le virtuel de la réalisation. Il s’agit de l’opposition entre un code universel à l’intérieur d’une communauté linguistique, indépendant des utilisateurs, et l’acte libre d’utilisation par les sujets, du code. Cette présentation est assez sommaire et devrait être affinée et précisée (voire critiquée), mais par cette séparation, Saussure garantit l’autonomie de la linguistique et permet l’étude de la langue comme système fermé de signes et de valeurs, ce qui rend possibles les démarches formalisantes. Cependant, en postulant un système idéal, distinct des mécanismes réels d’utilisation, on donne à la linguistique comme objet d’étude un code idéal, neutre (dont le lien à la réalité sociale devient problématique) et on ne conçoit le rapport des sujets au langage que sous l’angle individuel. C’est oublier aussi le caractère différentiel de la réalité sociale et de ses traces dans le langage. De nouvelles disciplines (psycholinguistique, sociolinguistique, analyse de discours au sens large) couvrent aujourd’hui le terrain laissé vierge par Saussure et la linguistique structurale (linguistique de la parole) à partir d’une remise en question de la dichotomie langue/parole, qui avait une valeur méthodologique.[2]
Dans l’optique d’une prise en charge effective de ces phénomènes rattachés à la langue, mais que la linguistique structurale, n’arrivait pas, sinon d’une manière trop insatisfaisante, à intégrer, la dichotomie langue/parole a été remise en question. Fallait-il ainsi saisir le système dans son « fonctionnement » concret. La langue, telle que prise en charge par les sujets parlants, s’actualisant dans la parole et dans des situations données, pouvait, sinon devait être appréhendée dans cette optique pour une meilleure compréhension de tout ce qui s’y déroule. De là, en gros, la naissance de ce qu’on appelle souvent les linguistiques de la parole qui ne rejettent pas nécessairement la conception saussurienne, encore moins les bases du structuralisme, mais pour lesquelles la parole est loin de constituer un phénomène contingent. La pragmatique est de l’ordre de ces linguistiques.
4. L'apport de la philosophie du langage
En tant que partie de la philosophie, la philosophie du langage s’intéresse au langage. Divers questionnements sont ainsi soulevés à travers les âges et relativement à ce phénomène. Bien que ceux-ci, ces questionnements, soient divers, on se focalise souvent, en philosophie du langage sur la signification ou le sens en général sans oublier l'usage concret qu’on fait du langage, son apprentissage et ses processus de création, etc. Le 20ème siècle a connu un développement important de ces problématiques.
Bien que pouvant tourner à leur base sur le sens et la signification, ces problématiques sont, dans le fond, de différents ordres.
La philosophie du langage s’intéresserait ainsi à des questions du type : quelle est l'origine du langage ? Comment appréhender la relation entre le langage et la réalité ? De quelle nature est-elle ? Quelle est la relation entre le langage et la pensée ? Le langage et la connaissance, quelle relation ? Quelle est la relation entre le langage et d'autres modes d'expression ?
Qu’est-ce que la communication ? Qu’est-ce qu'un signe, un dialogue, un texte, un discours, un énoncé ? Comment peut-on expliquer le pouvoir des mots ? A quoi tient-il ? Etc.
5. La pragmatique
Le terme pragmatique vient du grec pragma qui signifie action. En français, il a le sens de « concret, adapté à la réalité ». En anglais, pragmatic, signifie qui a rapport aux actes, aux effets réels. Cette discipline cherche à saisir les différents mécanismes qu’offre la langue et qui sont mis en action par les locuteurs, en usant de la parole, afin d’agir par la parole.
A la lecture de l’ouvrage de J. L. Austin, How to do Things with Words [1962], on comprend de quelle manière on est venu « à penser communément qu’un grand nombre d’énonciations qui ressemblent à des affirmations, ne sont pas du tout destinées à rapporter ou à communiquer quelque information pure et simple sur les faits; ou encore ne le sont que partiellement. »[3]
C’est là l’un des fondements de la philosophie analytique anglo-saxonne qui est mis en cause. Ce fondement stipule :
le langage a principalement pour but de décrire la réalité et toutes les phrases (mis à part les questions, les phrases impératives et les exclamations) peuvent être évaluées comme vraies ou fausses. Elles sont vraies si la situation qu’elles décrivent s’est effectivement produite dans le monde ; elles seront fausses dans le cas contraire. Cette hypothèse quant au caractère descriptif des phrases, Austin la baptise, de façon évocatrice, du nom d’illusion descriptive et c’est à la discuter et à la rejeter qu’il consacre les William James Lectures.[4]
En parlant, nous ne faisons donc pas que décrire le monde. Pour ce type de linguistique, parler, c’est agir, agir sur le monde, agir sur l’Autre. Parler c’est, entre autres, faire aboutir une intention.
Pour comprendre la conception que cette discipline se fait de la langue, reprenons un instant le constat à partir duquel Austin aboutit à l’idée que ce serait une illusion de croire que la langue n’est là que pour décrire le monde. Référons-nous, pour cela aux auteurs déjà cité plus haut. Ceux-ci écrivent :
Austin part d’une simple constatation : de nombreuses phrases […] ne décrivent [pourtant] rien et ne sont pas évaluables du point de vue de leur vérité ou de leur fausseté. En fait, loin d’être utilisées pour décrire la réalité, elles sont utilisées pour la modifier : elles ne disent rien de l’état présent ou passé du monde, elles le changent ou cherchent à le changer.[5]
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[1] Anne Reboul & Jacques Moeschler ; La pragmatique aujourd’hui. Editions du Seuil. 1989
[2] Henriette Gezundhajt, Les grands courants de l linguistique. http://www.linguistes.com/courants/couran
[3]. Michel Ballabriga ; Sémantique Textuelle 1 Texto. mars 2005. Université de Toulouse II-Le Mirail . http://www.revue-texto.net/Reperes/Cours/Ballabriga1/index.html
[4]. Anne Reboul & Jacques Moeschler ; La pragmatique aujourd’hui. Editions du Seuil. 1989
[5] Idem
[6] Idem
