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Chapitre 3

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LES ACTES DE LANGAGE

 

Introduction

Des spécialistes des faits de langue se sont posés des questions telles quelle « en quel sens dire une chose est-ce la faire ? En quel sens faisons-nous quelque chose en disant quelque chose ? En quel sens faisons nous quelque chose par le fait de dire quelque chose » Ceci pose la question de la fonction du langage. Pour les pragmaticiens, celui-ci est loin de se limiter à la fonction descriptive, tel que le concevaient les structuralistes. Nous avons déjà souligné (voir cours n°1) de quelle manière Austin a réfuté le caractère descriptif du langage qu’il a baptisé du nom d’illusion descriptive. C’est dans cette optique qu’il a consacré les William James Lectures. Dans cette série de conférences, donnée durant les débuts des années cinquante, qu’a été introduite une notion fort importante en pragmatique, celle d’acte de langage. Celle-ci énonce en substance : Le langage dans la communication n'a pas principalement une fonction descriptive, mais une fonction actionnelle.

Mais à bien suivre l'objectif tel que tracé par les pragmaticiens, ne serait-il pas juste d'affirmer que « Les anciens rhétoriciens étaient déjà des pragmaticiens » ? Les anciens philosophes, à l’exemple de Cicéron, d’Aristote, de Socrate, de Platon ou encore de Tertulien, dissertaient, à travers leurs travaux, aux effets concrets du discours, «Ils réfléchissaient aux liens existant entre le langage, la logique (notamment argumentative) et les effets du discours sur l'auditoire ».

D’autres théories, plus ou moins contemporaines, insistaient elles aussi sur cette fonction ou valeur actionnelle. Charles Sanders Peirce, sémioticien et philosophe américain, fondateur du pragmatisme comme mouvement philosophique, affirme ainsi :

Considérer quels sont les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par l'objet de notre conception.  La conception de tous ces effets est la conception complète de l'objet. « La signification d'un signe est donc l'effet que le signe pourrait avoir dans chaque circonstance envisageable.

 

I. 1. La performativité

Cette notion est au centre de la théorie des actes de langage. Austin en fait le fondement essentiel de celle-ci. Elle renvoie au fait qu’un signe linguistique (énoncé, phrase, verbe, etc.), en étant performatif, réalise lui-même ce qu’il énonce. Un juge qui prononce une sentence qui se résumerait par exemple au seul mot - coupable - fait advenir à la réalité une situation qui n’existait pas avant le lancement de ce verdict. Avant la prononciation de ce terme. Mais cette situation ne pourrait advenir que si le contexte est approprié. Le juge est seul apte à prononcer un verdict à partir de conditions réunies à cet effet pour qu’il puisse jouer ce rôle. Et les autres acteurs réunis par et pour les circonstances acceptent autant ce rôle tout en acceptant les leurs. Dans ce sens, Daniel Laurier rappelle ce qui a été remarqué par Austin en écrivant :

Austin remarque, par exemple, qu’il est généralement nécessaire, pour que l’énonciation d’un performatif compte comme l’accomplissement d’une action, que cette énonciation fasse partie d’une procédure conventionnelle en vigueur dans une certaine communauté, que les personnes et les circonstances soient telles que l’exige l’application de cette procédure, et que la procédure soit suivie correctement et complètement par tous les participants. […] Par exemple, si le locuteur qui fracasse la bouteille de champagne sur la coque du navire en disant « Je baptise ce bateau le Queen Elizabeth » n’est pas dument mandaté pour le faire, il n’en résultera pas que le navire en question s’appelle désormais le Queen Elizabeth. De même, il n’y aura pas réellement de baptême si le locuteur se contente de produire l’énoncé, en oubliant de lancer la bouteille de champagne[1]

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I. 2. Constatif / performatif

La première opposition posée comme fonctionnelle à partir du travail d’Austin, c’est celle entre constatif et performatif. Les constatifs renvoient à une catégorie d’énoncés descriptifs ainsi qu’à ceux pouvant recevoir la sanction vrai/faux.

Exemples :

  • La terre est ronde

  • Le ciel est bleu

Aux débuts de ses travaux, Austin pensait à une opposition stricte entre constatif et performatif. Mais à l’examen, celle-ci ne résiste pas aux emplois concrets. Elle n’est pas aussi stricte. Tenant compte de cela, cette opposition, bien que toujours opératoire, a été revue par Austin, en raison du fait, comme le souligne l’auteur que nous venons de citer, que certains

énoncés ne peuvent pas être littéralement dits vrai ou faux, mais ils peuvent être objectivement corrects ou incorrects, bon ou mauvais, justifiés ou non, et qu’ils le soient ou non dépend d’une certaines manières des faits. Par exemple, l’arbitre qui siffle un hors-jeu fait en sorte qu’i y a hors-jeu (et en ce sens son coup de sifflet équivaut à un performatif), mais son jugement peut être contesté (et éventuellement renversé) à la lumière des faits […] et il correct dans certains contextes de dire « L’Italie a une forme d’une botte », bien que ce ne soit pas littéralement et strictement vrai. (Idem. p. 98)

Cette opposition a été revue par Austin pour tenter de poser une classification de ces énoncés. L’auteur déjà cité signale dans ce sens :

Ces difficultés à expliciter les fondements de l’oppositon performatif / constatif ont poussé Austin à la répudier pour la remplacer par une classification des différents types d’actes de langage, c’est-à-dire, des différents sens dans lesquels on peut dire que dire quelque chose faire quelque chose. C’est ainsi qu’il a été amené à distinguer trois types d’actes qui sont normalement accomplis par tout locuteur lorsqu’il énonce une phrase, à savoir, les actes locutoires, illocutores,, et perlocutoires. (ibidem. p. 98)

I. 2. Les composantes du performatif

                   Bien que quelques aspects du travail d’Austin aient été revus par certains linguistes, par John Searle, entre autres, les fondements principaux de celui-ci demeurent toujours tels quels et toujours fonctionnels.

                   On s’accorde ainsi, avec Austin, que tout acte de langage est constitué de trois composantes qui sont elles aussi vues comme étant des actes. Ceux-ci se réalisent simultanément. Notons encore que le premier de ces actes, l’acte locutoire, est composé, à son tour, de trois actes qui se réalisent aussi simultanément.

I. 2. 1. L’acte locutoire

                   C’est l’acte renvoyant à cette capacité qu’a le locuteur d’agencer un ensemble de sons (prononcer/écrire certains sons) pour former des éléments (unités, mots, expressions) pourvus d'un sens. Il renvoie, finalement au fait de dire quelque chose : exécution d’un acte locutoire. Exemple : « Je te promets deux mille DA ». Cet acte locutoire a les mêmes frontières que la proposition.

I. 2. 2. L’acte illocutoire (illocutionnaire)

L’acte illocutoire renvoie à l’idée, ou au fait, d’orienter le dire de manière à faire quelque chose avec celui-ci. En d’autres termes, que fait x en proférant l’énoncé y ? Quelle est l’intention de son dire ?

Cette composante articule l’idée qu’à toute production d'énoncé -ou presque- est attachée conventionnellement une certaine « force » qui s’y dégage dès que l’énoncé est proféré. Dès que l’on entend proférer ainsi un énoncé tel que « La séance est ouverte », cela revient à ouvrir de fait la séance. Il est nécessaire, pour le moins, que cet énoncé soit dit par un locuteur donné dans des circonstances données.

I. 2. 3. L’acte perlocutoire

                   On peut sinon aussi parler d’effet perlocutoire. Ce qui est dit est souvent proféré de sorte à provoquer un effet. Le locuteur vise, par sa parole à induire un comportement, une façon d’être, une réaction chez l’interlocuteur. L’énoncé de tout à l’heure « La séance est levée » provoque un certain nombre d’effet : l’auditoire se tait, quelqu’un prend la parole …etc.  Notons qu’il peut arriver qu’un énoncé provoque des effets non visés par le locuteur.

 

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[1]. Laurier (Daniel). Introduction à la philosophie du langage. Mardaga éditeurs. 1995. p. 95

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